Dérogation Espèces protégées : ce que change l’avis du Conseil d’Etat du 09/12/2022

Le Conseil d’Etat a rendu par l’avis n°463563 du 09 décembre 2022 un avis fondateur sur les conditions de demande et d’obtention d’une dérogation Espèces protégées.

Une situation juridique jusque-là assez floue

Sollicité par la cour administrative d’appel de Douai, le conseil d’Etat a livré en fin d’année passée son interprétation relative aux conditions de demande d’une dérogation au régime de protection des espèces, et précisé les dispositions concernant les conditions même de délivrance de cette dérogation.

Rappelons que les listes des espèces animales et végétales protégées et les dispositions du droit positif relatives à la nature de leur protection sont fixées par arrêtés ministériels. Les conditions de dérogation au régime de protection de ces espèces sont notamment régies par l’article L. 411-2 et suivants du code de l’environnement.

Les conditions imposant une demande de dérogation espèces protégées demeureraient jusqu’ici relativement peu précises, notamment dans leur application. Deux écoles d’interprétation du droit positif s’opposaient jusqu’alors :

  • L’une considérant qu’une dérogation était nécessaire au moindre individu ou habitat d’espèce protégée impactée (une très grande partie des espèces d’oiseaux nicheuses ainsi que l’intégralité des reptiles et amphibiens autochtones étant protégée, une demande de dérogation pouvait en toute rigueur être jugée nécessaire pour tout projet impactant individu ou habitat de reproduction et de repos.)
  • L’autre considérant qu’un impact plus significatif, par exemple à l’échelle locale ou d’une population, devait être généré.

Dans les faits, la nécessité de cette demande pour un projet d’aménagement résultait généralement d’un arbitrage interne de la part des bureaux d’études et DREAL, appuyé sur une clé de lecture locale et non officielle. Différents paramètres pouvaient être intégrés à l’analyse, tels que présence de zonages environnementaux (e.g. ZNIEFF, sites Natura 2000), niveau d’enjeu régional des espèces les plus patrimoniales du site, niveau d’impact résiduel sans toutefois qu’un « effet-seuil » officiel soit défini etc. L’avis du conseil d’Etat du 9 décembre 2022 vient ici clarifier cette situation, sans toutefois trancher la question du seuil de soumission.

Déclenchement d’une dérogation ; avis et méthodes

Par l’avis n° 463563, le Conseil d’Etat statue qu’une dérogation Espèces protégées est nécessaire « si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est « suffisamment caractérisé » ». Une dérogation n’est par conséquent pas nécessaire au moindre individu impacté.

Le Conseil d’Etat définit également une méthode d’analyse de la nécessité ou non d’une dérogation. Deux conditions successives doivent être examinées et cumulativement remplies pour qu’une dérogation soit nécessaire :

  • des spécimens d’une espèce protégée sont-ils « présents dans la zone du projet » ? Cette analyse ne doit intégrer ni le nombre de spécimens, ni leur état de conservation.
  • Existe-t-il un « risque suffisamment caractérisé » pour les espèces protégées ? Le Conseil d’Etat rappelle ici que l’analyse de ce risque doit être réalisé après prise en compte des mesures d’évitement et réduction. Ces mesures doivent présenter des « garanties d’effectivité » et permettre de « diminuer le risque ».

Le Conseil d’Etat a donc défini à la fois des conditions et une méthode.

Notons toutefois que certains termes feront probablement l’objet d’une jurisprudence fournie ou d’une évaluation au cas par cas (« présence » dans la zone du projet ; quid d’un animal traversant un site ou ne l’utilisant que ponctuellement pour l’alimentation ?, risque « suffisamment » caractérisé ; le terme « suffisamment » introduisant une subjectivité qui rendra plus complexe cette appréciation).

Précisons également que le Conseil d’Etat ne définit pas ce seuil du « risque suffisamment caractérisé ». Il laisse par conséquent au juge du fond (tribunal administratif, cour administrative d’appel en l’espèce), le soin de définir ce qui constitue un risque suffisamment caractérisé. L’analyse de la jurisprudence subséquente à cet avis s’avère donc primordiale en cette année 2023 afin d’apprécier ce qui, par nature ou par degré, sera jugé constitutif d’un « risque suffisamment caractérisé ».

Le Conseil d’Etat a toutefois rendu par cet avis un acte juridique fondateur concernant le droit des espèces protégées, dont il conviendra de bien comprendre et manier les termes pour les études règlementaires menées. Au 30 juin 2023, plus de 60 avis du juge du fond liés à cet avis ont été émis. Suivant les analyses de nos partenaires juristes et avocats, nous en avons tiré une analyse générale, qui sera présentée dans un article suivant.